
Quatre personnes comparaissaient, mardi 22 janvier 2019, au tribunal pour une affaire d’enlèvement, séquestration et extorsion qui s’était achevée par une dangereuse course-poursuite en centre-ville de Rouen (Seine-Maritime). (©SL/76actu/Archives)
Quatre personnes comparaissaient au tribunal correctionnel de Rouen (Seine-Maritime), mardi 22 janvier 2019, pour une affaire d’enlèvement, séquestration et d’extorsion sur fond de stupéfiants. Le périple de la bande s’était achevé par une impressionnante course-poursuite en plein centre de Rouen, durant laquelle un policier avait été grièvement blessé. Récit d’une incroyable escalade dans la violence.
Forcé à braquer une supérette
Tout commence le 22 décembre 2016 à Rouen. Étienne*, 17 ans au moment des faits, est enlevé et séquestré par une bande d’amis sur fond de dette de stupéfiants. Il est assis sur une chaise pendant 24 heures et subit des violences.
Puis, le 26 décembre 2016, Étienne et un ami sont forcés à monter dans une voiture, conduits dans l’appartement de Myriam*, où ils subissent des violences et se font extorquer 40 euros. La bande force ensuite Étienne à commettre un vol avec arme au Carrefour City de la rue Saint-Julien à Rouen, en gardant son ami comme otage : Nicolas lui explique la marche à suivre, Éric lui donne vêtements, cagoule, arme. Craignant pour la vie de son ami, Étienne s’exécutera, et repartira de son braquage avec la somme de 530 euros.
LIRE AUSSI : Braquage dans un supermarché au lendemain de Noël, à Rouen : un homme recherché
Une dangereuse course-poursuite à Rouen
Enfin, le 28 décembre 2016, toujours à Rouen, Nicolas, Éric et leur complice Karim se présentent au domicile des parents d’Étienne et le font monter dans la voiture de Myriam. Étienne reçoit un coup de poing dans le nez, et se voit ramené dans l’appartement de Myriam. Quelques heures plus tard, le groupe retourne au domicile d’Étienne pour extorquer sous la menace d’une arme la voiture du père, une BMW Série 5. « Il me doit 4000 euros, la voiture c’est une caution : c’est soit ton fils soit l’argent », dira Éric au père d’Etienne avant de quitter les lieux.
Le père d’Etienne contacte la police et déclare le vol de son véhicule. Le lendemain, une patrouille repère ce véhicule dans les Hauts de Rouen, et décide de le contrôler. Le conducteur refuse et accélère en brûlant plusieurs feux rouges, roulant à contresens et fuyant direction le Boulevard des Belges.
LIRE AUSSI : Course-poursuite à Rouen : quatre policiers blessés, quatre hommes interpellés
À l’intersection avec la rue Saint-Eloi, la voiture percute un véhicule à l’arrêt. Les policiers descendent et ordonnent aux occupants de la voiture de sortir du véhicule, Éric, le conducteur, refuse, accélère de nouveau en percutant violemment un policier qui sera grièvement blessé, et prend la direction du Théâtre des Arts à 80 km/h environ, venant percuter un fourgon de police violemment.
#Rouen Collision véhicule de police / véhicule volé en centre-ville, après course poursuite. Plusieurs policiers blessés, dont un gravement pic.twitter.com/2Obeh1pTex
— simon louvet (@LouvetSimon) December 29, 2016
« C’est un menteur … »
À la barre mardi 22 janvier 2019, Éric reconnaît les faits commis au volant de la BMW, mais conteste comme les autres prévenus toutes les autres infractions, disant d’Étienne qu’il est « un menteur, il a voulu monter un dossier contre moi ». La victime maintient quant à elle ses déclarations, expliquant s’être tue, car elle voulait protéger sa famille.
Les policiers pour leur part parlent des risques inconsidérés qu’ils ont dû prendre. « C’est presque un film », commentent-ils en revenant avec beaucoup d’émotion sur le moment où leur collègue a été percuté de plein fouet par le véhicule :
On a cru qu’il était mort, on l’a vu voler.
Au jour du procès, deux ans après, l’agent n’est toujours pas en état de reprendre le travail.
« Technique qu’on retrouve dans le grand banditisme »
Pour Me Céline Gibard, qui représente Étienne et sa famille, les faits sont choquants « par le très jeune âge des prévenus, mais également par les techniques utilisées, que l’on retrouve dans le grand banditisme ». Elle indique que pour une simple dette de stupéfiant, son client a tout vécu :
Tout était permis, avec des passage à l’acte de plus en plus importants et violents. Alors il a fait comme il pouvait, avec la peur au ventre, il n’a rien dit et tout encaissé pour protéger sa famille.
Pour l’avocate représentant les six policiers blessés et celui représentant le ministère de l’Intérieur et Carrefour City, « ce sont des barbares, ce sont des faits inadmissibles en société ». Ils soulignent le courage et le dévouement des policiers ce jour-là, et réclament près de 28 000 euros pour les policiers, 50 000 euros pour le ministère de l’Intérieur et 25 350 euros pour les employés du Carrefour City de Rouen.
« Personnalité odieuse »
Pour le ministère public, les faits sont extrêmement graves. Il s’agit d’atteintes aux biens et à la liberté, avec une violence croissante. « Ils avaient la possibilité à plusieurs moments de s’arrêter, ils ont préféré persévérer et augmenter en degré la gravité de leurs actes », n’hésitant pas a qualifier « la personnalité odieuse des prévenus qui nient l’évidence ou son atteints d’amnésie ». Le substitut du procureur souligne également le manque total de remord, de regret ou d’un début de réflexion sur la gravité des faits. Le ministère public fait également remarquer le courage du policier grièvement blessé, « qui est venu au péril de sa vie faire obstacle à ce véhicule arrivant à 80 km/h ».
Il requiert pour Myriam, « sans qui rien n’aurait été possible, sans son appartement, sans sa voiture mais aussi sans sa lâcheté » la peine de deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis. Pour Nicolas, « le compagnon de route, qui ne présente ni regret ni remord » la peine de cinq ans d’emprisonnement dont un avec sursis et mise a l’épreuve pendant trois ans avec maintien en détention. Pour Karim « qui était partout, qui organise tout, et qui est en récidive », le procureur requiert la peine de neuf ans d’emprisonnement ferme ainsi que la révocation de sursis avec mise à l’épreuve à hauteur de 20 mois, avec mandat de dépôt. Enfin pour Éric, « l’extrême, le plus violent, le plus hargneux, à l’initiative de tout, qui ne se préoccupe pas de la vie d’autrui et qui ne reconnait rien, un homme qui a un comportement dangereux et inadmissible », il requiert la peine maximale prévue par la loi, soit dix ans d’emprisonnement ferme avec maintien en détention.
« La colère ne doit pas rendre la justice »
Pour la défense, il n’en est rien : si en effet les délits routiers commis le 29 décembre 2016 sont reconnus, tous les avocats des prévenus s’accordent à dire qu’aucun élément dans la procédure ne permet d’établir la culpabilité de leurs clients respectifs, et demandent chacun la relaxe de leurs clients pour les faits d’enlèvement, séquestration, extorsion, rappelant au tribunal que « la colère du ministère public face à cette affaire ne doit pas rendre la justice », soulignant les incohérences d’Étienne et le manque de preuve matérielle dans le dossier.
Le tribunal reconnaît les prévenus coupables, condamnant Myriam à une peine de un an de prison avec sursis, Nicolas à trois ans dont 6 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, Karim à quatre ans et huit mois de prison ferme et Eric à cinq ans de prison ferme et maintien en détention**.
*Tous les prénoms ont été modifiés.
** Ces peines sont susceptibles d’appel. Toute personne est présumée innocente tant que toutes les voies de recours n’ont pas été épuisées.
Frédéric Bernard