
Sylvain Fresneau, ex-membre de l’Acipa et agriculteur, revient sur les mois qui ont suivi l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. (©L’Éclaireur)
Le 17 janvier 2018, l’État sonnait le glas du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), sujet de débats interminables depuis plus de cinquante ans, et à l’origine de la création d’un microcosme alternatif au sein de la Zad : la zone d’aménagement différé, rebaptisée Zone à défendre par ses occupants.
Un an après, quels changements sont intervenus dans la vie de Notre-Dame-des-Landes ? Que ce soit pour ses habitants historiques, ses commerçants, ses agriculteurs, mais aussi pour les « zadistes » ? Rencontre…
Une cagnotte lancée pour la Zad
Pour les habitants de la Zad, le 17 janvier est devenu une date historique. Ben, qui gère les relations presse, explique :
On a décrété que c’était un jour férié, parce qu’on a envie de se rappeler qu’une victoire incroyable a été obtenue après 40 ans de lutte. On a envie de la célébrer chaque année. »
Depuis, de nombreux projets – « sociaux, politiques, environnementaux » – ont vu le jour dans le bocage. Parmi eux, L’ambazada, un lieu de formation à l’éco-construction, dont le bâtiment, en cours de construction, sera achevé dans les prochains mois.
Les occupants de la Zad veulent désormais informer le public au sujet d’un fonds de dotation mis en place.
Cela correspond à la promesse que s’était fait le mouvement il y a quelques années déjà. Le vœu du mouvement était que les terres qui étaient préservées puissent continuer à être gérées collectivement, par les gens qui avaient mené cette lutte. Ce fonds de dotation lance des campagnes de dons pour permettre de créer de la propriété collective et mettre dans un fond commun les bâtis qui vont être revendus par l’État, comme les fermes, les infrastructures collectives… »
Objectif, donc, continuer de gérer ces lieux de manière collective. Parallèlement, des projets agricoles – « qui restent précaires », rappelle Ben – suivent leur cours.
En attendant la collecte de dons, les habitants vont prendre du bon temps : ce soir, une grande fête sera organisée à L’ambazada.
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Un bourg plus « apaisé »
Sophie Herault est adjointe municipale à Notre-Dame-des-Landes, mais aussi guichetière au bureau de poste juste à côté de la mairie. Au cœur de la vie communale, donc. « J’habite juste à côté de la Zad », précise-t-elle aussi.
Pour elle, la vie du petit bourg n’a pas changé de manière très sensible :
On ne voyait pas beaucoup les zadistes, dans le bourg, même si certains avaient quand même des enfants à l’école et qu’ils venaient aussi chercher du courrier ou des colis ici. Et en tant que riveraine de la Zad, je n’ai jamais été touchée. Il n’y a jamais eu de problèmes particuliers, sauf quand les gendarmes sont venus en nombre. »
Lorsque l’abandon du projet d’aéroport a été annoncé, elle se souvient : « On a sabré le champagne ! ». Néanmoins, cet épilogue favorable – pour une majorité d’habitants de la commune au moins – a permis de sortir enfin de cette « ambiance de tension qui régnait ici. C’est apaisé, maintenant », assure-t-elle.
Et des relations semblent vouloir se renouer entre habitants historiques et les occupants de la Zad.
Les habitants vont dans la Zad quand il y a des événements : par curiosité, ou pour voir la bibliothèque, notamment. »
Quant aux zadistes, elle dit avoir été agréablement surprise d’en voir tenir des stands « au dernier marché de Noël de la commune. C’était la première fois. Ils proposaient notamment des produits du quotidien, qu’ils fabriquent eux-mêmes ».
Le courrier, lui, peut de nouveau être livré dans le périmètre de la Zad, au moins pour les occupants ayant une adresse bien définie.
« Les gens évitent d’en parler »
À quelques mètres du bureau de poste, Corinne* enchaîne les coups de ciseaux dans son salon. Des journalistes, elle en a vu passer ces dernières années. « Moi, j’ai été soulagée quand le projet a été abandonné parce que je me suis dit que tout allait être réglé, que tout le monde allait partir. Aujourd’hui, il y a encore des gens dans la Zad, mais ils ne nous dérangent pas. D’ici, on ne voit rien de toute façon », confie la coiffeuse, ses mains virevoltant au-dessus de la tête de sa cliente.
Les phrases sont brèves, on ne s’étale pas sur le sujet. « Vous savez, dans le salon, les gens évitaient de parler de ça, je le voyais bien. Ils n’osaient pas aborder le sujet… Et aujourd’hui encore, les gens n’en parlent plus trop. » Par peur de « se fâcher les uns avec les autres ». Par crainte, aussi « de représailles ».
La Zad ? Elle n’y a jamais mis les pieds. Seules les rumeurs alimentent les conversations. La coiffeuse renchérit :
On ne sait pas s’il y a encore des radicaux. On sait juste que de drôles de choses s’y sont passées. Après, chacun, suivant son avis, raconte sa version des faits… Alors, qui croire ? C’est dommage, parce qu’on ne sait plus qui a raison ou tort. »
Face à ce constat, un autre doute émerge : cette page sera-t-elle véritablement tournée un jour ?
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Les agriculteurs sous pression
Agriculteur historique de la Zad et figure de la lutte contre le projet aéroportuaire, Sylvain Fresneau commence tout juste à se projeter dans l’avenir. Les semaines ayant suivi l’euphorie de la victoire, un an plus tôt, n’ont pas été de tout repos.
On avait vite déchanté car un groupe d’antispécistes a commencé à couper nos clôtures. On a passé un à deux mois à courir après nos génisses… Et cet été, on était toujours sous tension, du fait de la sortie en extérieur de nos animaux. »
Un an après cette période mouvementée, il dit cependant : « On a enfin commencé à souffler, à envisager à nouveau l’avenir et à s’investir psychologiquement dans des projets ».
L’éleveur a ainsi entamé les démarches « pour convertir l’exploitation en bio et pour que notre fils s’installe. On voulait passer au bio depuis un moment déjà, mais on n’en avait pas le droit car il faut avoir cinq ans minimum de visibilité sur les baux pour obtenir des aides dans ce sens. Or, tant que le projet d’aéroport existait, on n’avait pas cette visibilité ».
Il reste toutefois un point noir, dans son quotidien : la procédure de rétrocession des terres et des bâtiments du Gaec des pommiers, qu’il exploite depuis toujours, avec deux autres agriculteurs. Celle-ci traîne en longueur. Les agriculteurs du Gaec avaient en effet été expropriés en 2014.
Un juge était venu pour estimer les biens, puis un huissier de justice était passé avec un chèque correspondant au montant estimé. Chèque que nous avions refusé : il est donc resté, intact, à la Caisse des dépôts et consignations. Après le 17 janvier 2018, il a fallu relancer une procédure auprès du juge des expropriations, pour récupérer officiellement nos biens. Mais cette procédure reste bloquée aujourd’hui. On ne sait pas si c’est au niveau de l’État ou de Vinci… «
Bien sûr, l’agriculteur, ses collaborateurs et leurs familles n’ont jamais quitté leurs terres ni leurs habitations. « Mais à ce jour, ma maison n’est pas à moi… », déplore Sylvain Fresneau.
*Les prénoms ont été modifiés.