
Le nom d’Albert Valet est inscrit sur le monument aux morts d’Aigné. (©Les Alpes Mancelles libérées)
Le 31 mars 1915, vers 9 h du matin, à Cormelois (Marne), un peloton dûment constitué de poilus du 115e Régiment d’infanterie fusillait le soldat de 2e classe Albert Valet, de Degré (Sarthe), pour abandon de poste. Il est l’un des huit Sarthois officiellement exécutés durant la Première Guerre Mondiale pour différents motifs. Comment a-t-on pu en arriver là ?
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Automutilation ?
Albert Valet est né le 23 décembre 1893 à Degré. Il est fils de journaliers. Il devient garçon épicier en région parisienne, à Montreuil-sous-Bois, avant d’être incorporé le 28 décembre 1913 au 115e Régiment d’infanterie en garnison à Mamers. En 1914, il est bien sûr envoyé au front.
En mars 1915, dans le secteur de Suippes (Marne), il est blessé par balle à la main. Albert Valet explique au médecin qu’il a reçu une balle allemande en relevant un câble électrique. Mais le médecin chargé de l’examiner est dubitatif. N’est-il pas là en face d’un poilu qui s’est automutilé pour ne pas avoir à se battre ?
La thèse du soldat peut se tenir comme celle du praticien d’ailleurs. « Dans les années 1914-1915, l’automutilation n’était pas rare. Cela évitait d’aller en première ligne », affirme Éric Viot, historien manceau dont le combat pour la réhabilitation de ces soldats fusillés pour l’exemple est bien connu. S’automutiler qui, plus est, en présence de l’ennemi ou sur un territoire en état de guerre empêchait de monter au front et donc était assimilé par la hiérarchie militaire à un abandon de poste.
Le Conseil de guerre le condamne à mort
Le problème pour Albert Valet, c’est que deux autres médecins vont confirmer les dires du premier. Notre homme ne peut échapper au Conseil de Guerre de la 8e division d’infanterie. Celui-ci, constitué de quatre officiers et d’un sous-officier, se réunit le 30 mars 1915 à 13 h 30 à la mairie des Petites-Loges.
Les militaires doivent répondre à plusieurs questions. Le prévenu est-il coupable d’avoir entre le 11 et le 13 mars 1915 et depuis un temps non prescrit par la loi commis un abandon de poste ? Et ledit abandon de poste a-t-il eu lieu en présence de l’ennemi ou sur un territoire en état de guerre ? Par quatre voix contre une, le soldat Valet est condamné à mort.
Une exécution devant les soldats
L’exécution aura lieu le lendemain matin devant les soldats du 115e et 117e réunis. Autant dire que le spectacle est insupportable pour les poilus. Un témoignage, parvenu jusqu’à nous puisque publié dans un livre intitulé Lieutenant à 19 ans dans les tranchées d’Henri Sentilhes traduit bien ce traumatisme.
Ce jeune officier écrit : « Cette nuit par exemple, il nous est arrivé une mauvaise aventure : on m’a fait lever à 1 heure du matin pour me communiquer des ordres au sujet d’une parade d’exécution qui a eu lieu ce matin à grand fracas. C’était un mutilé volontaire qui, condamné à mort, fut exécuté devant le front des troupes. »
Il ajoute : « C’était la première fois que j’assistais à pareil spectacle mais c’était bien pénible. L’homme est descendu pour être amené au pied du poteau et il se lamentait comme un enfant jusqu’à ce que le feu du peloton l’ait abattu par terre ; nous avons défilé ensuite devant le cadavre. »
« Mort pour la France » !
Ce jeune lieutenant explique ensuite que le soldat « non mort pour la France » – c’est l’expression consacrée pour les fusillés pour l’exemple – avait vraisemblablement été blessé par une balle ennemie…
Albert Valet est inhumé dans le cimetière de la commune de Val-de-Vesle (Marne). Sur sa tombe, il est pourtant inscrit « Mort pour la France ». Comment se fait-il ? La réponse se trouve sans doute dans sa fiche matricule 1701 consultable aux Archives départementales de la Sarthe. Albert Valet a tout simplement été amnistié « conformément à l’article 6 de la loi du 3 janvier 1925. » Cela ne lui aurait pas rendu la vie…
Le nom d’Albert Valet a été gravé sur le monument aux morts d’Aigné (Sarthe) commune où résidaient ses parents.