![Mardi 19 mars 2019, Sea Shepherd a patrouillé au large de la Vendée]()
Mardi 19 mars 2019, Sea Shepherd a patrouillé au large de la Vendée (©Timothée L’Angevin / actu.fr)
« Dauphin, dauphin ! » Depuis le hors-bord, Thibaud braque le projecteur sur le filet que remontent les pêcheurs. A l’intérieur, pris au piège au milieu de dizaines de merlus et de bars, un mammifère d’un mètre soixante environ, déjà mort. Tiré par les marins enveloppés dans leur ciré jaune, il disparaît rapidement sur le pont du bateau.
À une trentaine de mètres, les quatre militants de Sea Shepherd, avec qui actu.fr a embarqué, n’en ratent pas une miette. Rémi, GoPro vissée sur le casque, mitraille le chalutier avec ses deux appareils reflex. Smartphone à la main, Fred filme tandis que Thibaud éclaire la scène.
Derrière le volant du semi-rigide, Damien reste à distance. « On les laisse bosser, on est juste là pour ramener des images. »
![Un dauphin a été capturé dans le filet des chalutiers, sous les yeux des militants de Sea Shepherd]()
Un dauphin a été capturé dans le filet des chalutiers, sous les yeux des militants de Sea Shepherd (©Timothée L’Angevin / actu.fr)
1 100 dauphins retrouvés mort depuis le début de l’année
Ce mardi 19 mars 2019, comme toutes les nuits depuis le début de l’année, l’association de protection des océans patrouille au large du littoral français dans le cadre de l’opération Dolphin bycatch.
L’objectif : alerter sur le sort des dauphins, alors que des milliers d’entre eux sont tués chaque année dans le Golfe de Gascogne.
Lire aussi : Vendée : Sea Shepherd manifeste pour sensibiliser au massacre de dauphins
Depuis début janvier, 1 100 cétacés ont été retrouvés morts sur la côte Atlantique, selon le décompte du jeudi 21 mars de Pelagis : « Ils sont en fait beaucoup plus nombreux, s’alarme Hélène Peltier, chercheuse à l’observatoire basé à La Rochelle. Seuls 20% des cadavres atteignent le littoral, le reste coule au fond de la mer. »
On estimerait donc à 5 000 le nombre de dauphins morts en moins de trois mois.
L’observatoire Pelagis, un laboratoire de l’université de la Rochelle relié au CNRS, assure le suivi de la démographie des populations marines (mammifères et oiseaux). Il recense également tous les échouages d’animaux, morts et vivants.
« Certains sont encore vivants dans les filets »
Comment expliquer une telle hécatombe ? En se nourrissant des mêmes poissons que les bars et les merlus, des espèces pêchées par les chalutiers, les mammifères se retrouvent eux-aussi capturés et finissent pas mourir noyés dans les chaluts.
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« Parfois, certains sont encore vivants, souligne Damien. Il y a quelques jours, des pêcheurs ont remonté un dauphin qui se débattait dans le filet. On l’entendait crier. Et ils ne l’ont même pas rejeté à l’eau… »
José Jouneau, président du Comité régional des pêches des Pays de la Loire, « déplore cette catastrophe » et reconnaît « quelques captures accidentelles » de cétacés.
Mais rien ne nous prouve que les chalutiers sont responsables de la mort de tous ces animaux.
C’est justement ce que cherche à démontrer Sea Shepherd en surveillant de près la pêche intensive.
Sea Shepherd, une ONG créée en 1977, est vouée à la protection des écosystèmes marins et de la biodiversité. Fondée par l’amiral canadien Paul Watson, elle lutte contre la chasse à la baleine et aux requins, la captivité des dauphins dans les parcs animaliers, l’usage des filets dérivants…
En France, elle compte 150 bénévoles. Au large des côtes Atlantique, elle combat principalement les captures des cétacés avec des hors-bord et le navire Sam Simon, basé à la Rochelle.
Regardez notre reportage vidéo auprès des militants de Sea Shepherd :
Peu importe la météo
Fred met les gaz. « Clémentine », un semi-rigide équipé d’un puissant moteur de 300 chevaux et d’un cockpit rudimentaire, affronte sans ciller la houle à près de 30 nœuds (55 km/h). La destination : le plateau de Rochebonne, à 60 kilomètres au large des Sables-d’Olonne (Vendée).
Ce mardi soir, « les conditions sont optimales », se réjouit Thibaud, qui a essuyé, la veille, de grosses bourrasques et des trombes d’eau.
Peu importe la météo, dès que les pêcheurs sortent, Sea Shepherd embraye. Damien se souvient de la tempête Gabriel au mois de janvier : « Des rafales à plus de 100 km/h, des creux de sept mètres et des températures en dessous de zéro. »
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Longue attente
Au bout d’une heure, l’équipage rejoint deux chalutiers. Distants de plusieurs centaines de mètres, ils traînent le même filet. Cette technique, dite de « pêche au bœuf », permet de capturer davantage de poissons, « mais aussi de dauphins ».
Moteur au ralenti, Clémentine suit les chalutiers de loin. Débute alors une longue attente, le chalut n’étant remonté que toutes les quatre à six heures. Damien allume la sono. Des titres de Enhancer, Tryo, Shaka Ponk ou encore Queen résonnent sur la mer tranquille.
Rémi part faire une petite sieste sur la banquette, emmitouflé dans sa veste de quart.
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Poser des vacances pour militer
Il a rejoint Sea Shepherd par conviction et par envie d’agir. Originaire de la région parisienne, il n’avait, à 28 ans, jamais mis les pieds sur un bateau. « Uniquement sur un Optimist à la base de loisirs de Cergy-Pontoise. »
Comme 95% des militants de l’ONG, Rémi est bénévole. Il a donc posé des vacances pour participer à la campagne Dolphin bycatch. Photographe de mariage, il a pu prendre trois mois, tout comme Damien, cordiste originaire de Fécamp (Seine-Maritime), âgé de 28 ans également
Fred, 36 ans, a quitté sa Moselle natale et la banque luxembourgeoise dans laquelle il travaille pour un mois. Et Thibaud, 29 ans, a liquidé ses dix derniers RTT.
Lire aussi : PORTRAIT. En Seine-Maritime, un bénévole de Sea Shepherd en lutte pour préserver les fonds marins
![Les militants de Sea Shepherd observent le filet des chalutiers]()
Les militants de Sea Shepherd observent le filet des chalutiers (©Timothée L’Angevin / actu.fr)
« Vidéos très à charge »
Tous les soirs ou presque, une dizaine de militants se relaient pour prendre la mer depuis le port des Sables-d’Olonne, pour une patrouille d’une durée de 12h à 15h, sans jamais se plaindre du temps ni du confort sommaire du bateau. Uniquement encouragés par les chiffres effrayants du nombre de dauphins massacrés sous leurs yeux.
« 2019 est la pire année que nous ayons connue, s’alarme Damien. Et les deux dernières avaient déjà battu des records. » Alors les activistes se battent avec les armes dont ils disposent : des caméras, pour montrer au grand public l’étendue du problème.
Des actions qui agacent les pêcheurs. « Ils nous suivent toute la nuit, attendent le moindre faux pas et nous filment, s’énerve José Jouneau. Ensuite, ils manipulent les internautes avec des vidéos très à charge. »
Il regrette une « stigmatisation de la profession » par les activistes.
Ces derniers assurent ne rien avoir contre la pêche, d’après Lamya Essemlali, la présidente de Sea Shepherd France :
On veut surtout dénoncer les méthodes de pêche non-sélective.
Sea Shepherd prône également l’interdiction de la pêche au chalut sur les zones de reproduction du bar et une meilleure surveillance des pêcheries pour empêcher la vente de poissons trop jeunes.
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Doigt d’honneur et « coup de fusil »
A 1h15, Damien sonne le branle-bas. « Debout tout le monde, c’est parti ! » Au loin, les chalutiers commencent à remonter leur filet. Le hors-bord s’approche.
Les pêcheurs, qui ne l’avaient pas encore vu, apprécient très moyennement cette présence. L’un d’entre eux, âgé d’à peine 20 ans, dresse son majeur. Le patron n’est guère plus enthousiaste :
Barrez-vous bande de casse-couilles (…) vous allez vous prendre un coup de fusil !
A bord de Clémentine, tout le monde reste de marbre. « On est habitués », glisse Thibaud, les yeux rivés sur le filet.
Au bout de quelques minutes, un dauphin apparaît. Rémi parvient à tout photographier avant que l’animal ne soit glissé sur le pont.
Intimidations
Alors que Damien tente une approche pour filmer l’intérieur du chalutier, le deuxième bateau fond dangereusement sur Clémentine. Un petit coup d’accélérateur met le semi-rigide hors de portée. « Ces manœuvres d’intimidation sont courantes, et heureusement ils ne nous ont encore jamais percutés. »
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Sous les yeux des militants, les pêcheurs accrochent sur le filet des pingers, des répulsifs acoustiques à dauphins.
Pourquoi ne les ont-ils pas installés auparavant ? José Jouneau assure que ces appareils « doivent être souvent rechargés » et « devaient donc être branchés » à ce moment-là.
Damien est plus sceptique : « Soit les pêcheurs n’en ont rien à foutre des dauphins, soit les pingers sont totalement inutiles. » Ils sont pourtant censés réduire de 65% les captures accidentelles.
Nous avons tenté de contacter l’armateur des bateaux pour en savoir davantage, mais celui-ci n’a pas donné suite.
![Les pêcheurs installent les pingers, des répulsifs acoustiques]()
Les pêcheurs installent les pingers, des répulsifs acoustiques (©Timothée L’Angevin / actu.fr)
Présence d’observateurs indépendants
Pour le moment, aucune autre solution viable n’a été trouvée pour limiter les captures. Pelagis insiste sur la présence d’observateurs indépendants à bord des chalutiers et l’installation de caméras afin de surveiller les pratiques. Une mesure que défend également Sea Shepherd.
« On passe notre temps à embarquer des observateurs, s’emporte José Jouneau. Et ensuite, sous couvert d’anonymat, ils nous dézinguent. »
Ils agissent comme des pompiers pyromanes.
Des « solutions radicales exigées »
Du côté des autorités, on assure avoir compris la gravité du problème. Le ministre de la Transition écologique François de Rugy a annoncé, vendredi 22 mars, une dotation de 100 000 euros à l’observatoire Pelagis.
Mais pour Sea Shepherd, c’est bien insuffisant : « On parle de l’extinction d’une espèce essentielle aux océans et voilà ce que nous sort le gouvernement », se désole Lamya Essemlal, qui exige des « solutions radicales ».
Les milliards d’euros de subventions doivent permettre la mise en place d’une pêche plus durable.
Vers une extinction des dauphins ?
Si la population de dauphins est évaluée à 200 000 individus dans le Golfe de Gascogne, à ce rythme, elle pourrait tout à fait disparaître : « Entre 3 000 et 10 000 cétacés sont tués tous les ans, précise Hélène Peltier de Pelagis. Comme ils n’ont jamais été des proies, ils se reproduisent lentement et ont très peu de bébés. »
Le scénario d’une extinction est tout à fait probable.
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« Réduisez votre consommation de poisson »
Selon l’ONG, le consommateur est « complice sans le savoir » de cette hécatombe. « Manger du poisson de chalut, c’est contribuer aux captures accidentelles de dauphins », assène Lamya Essemlali.
Pour cette raison, les militants, quand il le peuvent, exposent les cadavres de mammifères au grand public. « Beaucoup de gens ne savent même pas qu’il y a des dauphins au large de nos côtes, reconnaît Damien. Encore moins qu’ils sont massacrés. » Des actions de ce type ont été réalisées aux Sables-d’Olonne.
Sea Shepherd appelle les Français à agir : « Qu’ils réduisent leur consommation de produits de la mer, boycottent les espèces de petite taille et s’en tiennent exclusivement aux poissons pêchés à la ligne », souligne la présidente.
Des solutions que balayent les pêcheurs : « Et nos emplois ? Va-t-on aller jusqu’à supprimer notre profession ? »
« On ne peut pas hypothéquer l’avenir des océans sur l’emploi », répond Lamya Essemlali.
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Visite éclair de dauphins
Sur les coups de 6h, les deux bateaux remontent une nouvelle fois leur filet. A la lueur du jour levant, les quatre activistes scrutent son contenu. Cette fois, aucun cétacé n’est pris au piège. « C’est bon pour cette nuit les gars. »
Avant le départ, une dizaines de dauphins rendent une visite éclair aux trois navires avant de repartir chasser. Et ceux-là sont bien vivants.
![Thibaud, à la lueur du soleil levant]()
Thibaud, à la lueur du soleil levant (©Timothée L’Angevin / actu.fr)